L'HERMETISME

L'hermétisme est présent à plus d'un titre dans notre tradition maçonnique et il convient de ne pas le confondre avec l'ésotérisme. Il s'agit d'un courant de la tradition occidentale ou méditerranéenne qui s'est développée à partir des civilisations égyptiennes, grecques, latines, et byzantines, avant de revoir le jour au cours de la renaissance italienne dans le milieu florentin. Comme l'écrit Françoise Bonardel dans l'introduction de son ouvrage " L'hermétisme " : " Parler de la tradition hermétique, c'est donc désigner un courant de pensée mythiquement et historiquement fondé sur les Hermetica (textes hermétiques) et plus particulièrement sur la fameuse Table d'Emeraude. [...] Autonome par rapport au Christianisme, indépendant à l'égard des sociétés initiatiques constituées, l'Hermétisme aurait en fait rassemblé au cours des siècles de l'histoire occidentale, une famille d'esprits avant tout désireux de " travailler " au dépassement de toutes les formes de dualisme ; il serait caractérisé par un certain type de sensibilité, susceptible par sa plasticité même, d'accueillir des voies de réalisation spirituelle différentes. " On le voit, ce qui fonde l'hermétisme et qui en assure la pérennité, c'est un désir d'associer la raison, l'intelligence, l'étude pour le dépassement de soi et l'avancement vers une libre spiritualité non inféodée à une chapelle quelconque, fût-elle initiatique. Cela explique le grand nombre de textes, de corpus philosophiques ou plus exactement hermétistes qui nous sont aujourd'hui accessibles. Nous pouvons trouver plusieurs catégories d'oeuvres. Celles qui sont typiquement hermétistes se trouvent dans le Corpus Hermeticum, un ensemble de traités antérieurs au christianisme consacrés à l'être et au monde. Se rajoute à cet ensemble des textes plus anciens comme les Oracles Chaldaïques, des oeuvres sur les planètes, les plantes, les mathématiques, la théurgie, l'alchimie, la théologie, etc. Mais il convient d'y rajouter les écrits de la tradition platonicienne à travers les différents courants qui l'ont perpétuée. L'antiquité connut également ce qu'il est convenu d'appeler les cultes de Mystères. Ils correspondent de très près à ce que nous connaissons en franc-maçonnerie et sont distincts de l'expression et la pratique religieuse courante. Les mystères transmettent une connaissance cachée, ésotérique donc, à un petit nombre d'individus qui ont été sélectionnés pour leurs qualités morales. Ils utilisent des techniques spirituelles et rituelles différentes selon les lieux sacrés qui les perpétuent. Les initiés aux Mystères sont liés par des serments qui les obligent à garder secrètes leurs connaissances et expériences. Il en est de même pour certaines écoles de la philosophie grecque, platonicienne par exemple. Ainsi Clément d'Alexandrie écrit-il : " Non seulement les Pythagoriciens et Platon cachent la plupart de leurs dogmes, mais les épicuriens eux-mêmes avouent qu'il y a chez eux des secrets et qu'ils ne permettent pas à tout le monde de manier les livres où ils sont exposés. D'autre part encore, suivant les stoïciens, Zénon écrivit certains traités qu'ils ne donnent pas facilement à lire à leurs disciples. " (Stromates, V, 9) De même Jamblique écrit : " Les plus importants et les plus compréhensifs des dogmes admis par leur école, les pythagoriciens les gardaient toujours en eux-mêmes, observant un mutisme parfait pour ne pas les dévoiler aux exotériques, et les transmettant sans l'aide de l'écriture, comme des mystères divins, à la mémoire de ceux qui devaient leur succéder. " (Vie de Pythagore) Proclus affirme que " Platon se servit de noms mathématiques comme de voiles recouvrant la vérité des choses ; de même que les théologiens se servent de mythes, de même que les pythagoriciens se servaient de symboles. " (Commentaires sur le Timée, 36b) Soulignons encore que les différents Mystères ne sont en rien incompatibles, car il est tout à fait possible d'être initié à l'un ou à l'autre de ceux-ci. L'hermétisme n'est toutefois pas étranger à l'esprit des Mystères. Il est un enseignement issu du Verbe d'Hermès et consigné dans les livres gravés par lui : Mircea Eliade note : " A la différence des associations fermées comportant une organisation hiérarchique, des rites initiatiques et la révélation progressive d'une doctrine secrète, l'hermétisme tout comme l'alchimie, implique tout simplement un certain nombre de textes révélés, transmis et interprétés par " un maître " à quelques disciples soigneusement préparés [...] Il ne faut pas perdre de vue que la révélation contenue dans les grands traités du Corpus Hermeticum constitue la gnose suprême, notamment la science ésotérique assurant le salut ; le simple fait de l'avoir comprise et assimilée équivaut à une " initiation ". " Une fois de plus et sans entrer dans les détails de tous les ouvrages et maîtres qui constituent ce courant, il est fondamental de remarquer que cette " école " met en avant la philosophie, la raison et l'étude. L'étudiant se doit d'étudier, de réfléchir, d'approfondir les textes de la tradition qui lui sont confiés. Cet apprentissage est certes le fruit d'une longue réflexion solitaire, mais elle peut ne pas se réduire à cela. En effet l'on ne peut pas réellement séparer la tradition hermétiste des courants et écoles philosophiques liés directement ou indirectement au néoplatonisme. Il est clair que l'étude philosophique telle qu'elle est conçue par Platon à la suite de Pythagore, est en étroite relation avec des courants religieux ou des mystères tels que le Pythagorisme ou l'orphisme. Vouloir cloisonner les différent courants serait vain car la parenté de certaines doctrines est évidente. Quoi qu'il en soit, l'hermétisme met plus l'accent sur l'étude philosophique que sur la révélation mystique. Cependant certains courants ou philosophes s'inspirent de ces textes et en dégagent une expérience réellement mystique. C'est le cas par exemple de Proclus et de Plotin. Enfin les écoles de Mystères dont nous reparlerons en détail plus loin, bien que séparées de l'hermétisme, n'en sont pas moins en interaction et loin d'être incompatibles. Les adeptes de l'hermétisme sont bien souvent initiés à différents cultes de mystères sans que cela ne pose de problèmes et l'influence de ceux-ci se retrouve donc dans leurs œ uvres. Le voyage et l'apprentissage en Égypte des philosophes grecs en est une illustration bien parlante. Hermès est celui qui voit et embrasse toute chose. Nous qui sommes noyés dans la multiplicité du monde, aspirons à un recul, à une perspective qui nous permettrait de donner un sens à notre existence et au monde dans lequel nous vivons. C'est ainsi un des objectifs de la quête hermétiste : rechercher et restaurer l'unité qui replace l'homme dans son rôle de médiateur entre les puissances divines et le monde naturel. Cette place retrouvée de l'homme accomplissant l'acte réconciliateur, ouvre la voie de cette tradition et donne naissance à ce que l'on a appelé l'Aurea Catena ou " chaîne d'or " des initiés. La vocation d'Hermès est donc d'être " médiateur, restaurateur ou 'sauveur' de l'ambiguïté légitime et primordiale, père de la récurrence et donateur à la fois du perfectionnement du savoir. " Comme l'écrit F. Bonardel, " la philosophie hermétique, c'est d'abord le refus de morceler le savoir en régions rivales. C'est d'ailleurs ce qu'en retiendront les différents courants qui ultérieurement se recommanderont d'elle : Illuminisme, chimisme romantique, théosophie attesteront de la permanence d'une voie ésotérique hermétiste de l'Occident. Mais il faut parler d'une rencontre exceptionnelle entre Hermès et l'Esprit renaissant, lui-même épris de réconciliation, d'unification diversifiée, de retour aux origines et de progrès. Rencontre effectuée aux confins du mythe et de l'histoire comme ce fut le cas dans l'Antiquité. " L'hermétisme semble avoir été une immense tentative de réunir par l'exercice de la raison lucide et de l'amour de la vérité des philosophies éloignées, des fois fondamentalement différentes, savoir scientifique et gnose. Mais l'hermétisme avait pour ainsi dire disparu lors des premiers siècles. Il fallut attendre l'époque de la renaissance en Italie (dans les années 1460) et la ville de Florence en particulier pour que soit " ressuscitée " cette pensée. Marsile Ficin